Le pull-over rouge

Le pull-over rouge

Extrait du roman de Pierre Galibert « Le livre sur la commode »

 

Quelque part à la fin des années 1960, bien loin d’imaginer que je serai un moniteur de colo un jour, mes pensées se perdaient: je n’arrivais pas à me concentrer et rester sage. Dans la poche gauche du pantalon du dimanche qui piquait, une pièce de cinq francs attendait la quête. Un mouchoir blanc avait été placé par ma grand-mère dans celle de droite ; elle l’avait soigneusement inondé de « Bien-être » son eau de Cologne favorite. J’y perdais mon nez à plusieurs reprises dans cette fin de matinée interminable. Si je m’agitais un peu trop, ma grand-mère assénait sa menace suprême:
Monsieur le curé va te gronder…
L’effet était immédiat et je me tenais à carreau. Quelques minutes. J’aimais beaucoup ma grand-mère Odette. Je me sentais proche d’elle. Presque aussi proche que de ma mère. Quand mes parents s’absentaient une semaine à Paris pour les stages de chirurgie de mon père, cette douce femme, maman de maman, nous gardait à la maison, Hélène et moi. Marie et François n’étaient pas encore nés. Parfois nous quittions la grande maison des allées Corbière et déménagions quelques jours à Lameilhé chez mon oncle Paul. Ma grand-mère n’aurait jamais manqué la messe du dimanche et nous traînait dans la chapelle provisoire du tout nouveau quartier de la ville. L’abbé Adell était le prêtre de cette paroisse temporaire. Il était aussi aumônier des Bonnes Vacances. Il éditait alors un journal, dans lequel j’ai eu le plaisir d’écrire un article quelques années plus tard, à l’attention des familles. Cette publication estivale avait pour titre « Au large ». L’abbé Adell frappait, avec sa machine à écrire portable dernier cri, les stencils qui s’emballaient ensuite sur la Gestener du curé de la Teste…
Le plat de la quête passait, j’étais délesté de mes cinq francs. Mes pensées se perdaient à nouveau sous les poutrelles de ce hangar éphémère qui abritait les fidèles chaque dimanche en attendant la fin de la construction de l’imposant centre œcuménique qui trône aujourd’hui à Lameilhé.
Comment supposer que cette structure, vouée à une proche démolition, allait être transportée à la colo pour faire office de préau, toujours en place en 2013 ? Jean-Pierre Adell, voulant se débarrasser de la charpente métallique l’avait offerte, à la demande de Jacques Donnadille, à l’association…
J’imagine volontiers que ce dimanche matin-là, il y avait dans cette assemblée de fidèles, Jacques et Madeleine : j’allais les connaître dix ans plus tard…
Quelques rangées derrière, ou peut-être devant, en train de se recueillir pendant l’office qui se prolongeait, je ne remarquai pas non plus ce couple qui m’était encore inconnu : Jacques et Marie-Thérèse Mégret. Je ne pouvais pas me douter que j’allais me lier d’amitié avec leurs enfants, certainement présents aussi.
Au tout début des années 60, les aînés des enfants Mégret, étaient partis à la colo, vraisemblablement pour permettre à leur maman de se reposer un peu en cette fin de grossesse. Le septième enfant allait bientôt arriver. Les deux grands garçons étaient un peu turbulents et l’air d’Arcachon était déjà réputé pour calmer les ardeurs des gamins pleins d’entrain…
Un matin, une banale lettre devint, par son contenu, de la plus haute importance. Sur l’enveloppe qui la protégeait, l’écriture penchée de Madame Mégret indiquait le nom des deux destinataires et leur adresse estivale : « Christian et Yves Mégret, colonie les Bonnes Vacances, 33 La Teste de Buch ». Une petite sœur, Colette, était arrivée à Castres quelques jours auparavant. Avec la téléphonie mobile d’aujourd’hui, cette histoire semble d’un autre âge. Elle l’est : le bébé a la cinquantaine aujourd’hui et comme tous ses grands frères et sœur sans exception, est devenu colonnette aux Bonnes Vacances. Pour Colette, les souvenirs de son séjour sont aujourd’hui flous mais agréables. Jean-François, pourtant son aîné d´un an,  avait, lui, un peu langui…
Madame Mégret, comme toutes les bonnes mamans, avait soigneusement  préparé le trousseau pour les enfants en suivant scrupuleusement l’imposante liste de vêtements suggérée par le directeur. Elle avait patiemment tricoté un premier pull pour Colette et un deuxième pour Jean-François. Ce dernier, pris dans le tourbillon des escalades successives et épuisantes, a oublié le précieux ouvrage de sa maman au pied de la Dune…
Quarante ans plus tard, ce n’est pas sans une certaine malice, qu’elle cachait derrière ses yeux bleus lumineux, que Madame Mégret me questionnait chaque fois que nous évoquions ensemble les Bonnes Vacances:
– Alors Pierre ? Tu n’as toujours pas retrouvé le pull rouge de Jean-François ?

 

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